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Amélie Nothomb / Amélie-san – 2ème partie


source: Éditions Albin Michel

Depuis la parution en septembre 1992 d’ Hygiène de l’assassin , il n’y a pas de rentrée littéraire sans un roman d’Amélie Nothomb. Le Fait du prince est le 17e à paraître pour ce rendez-vous d’automne (2008). Droite, courtoise, dotée d’une diction et d’une clarté sidérantes, l’écrivain nous a accordé une interview.

propos recueillis par Marie-Françoise Leclère
adapté de l’article paru sur lepoint.fr

… suite de Amélie Nothomb / Amélie-san – 1ère partie (publiée hier) …

Le Point : Qui est Baptiste Bordave, le héros du Fait du prince ? Qu’y a-t-il de vous en lui ?
A. N. : C’est un imposteur. Suite à un coup du sort ou à un complot, il usurpe une identité et il ne le fait presque pas exprès ; ce qu’il vit est irrésistible et, à sa place, j’aurais fait la même chose. En plus, il usurpe l’identité d’un mort, ce qui est quand même moins grave : un mort n’a plus grand-chose à faire de son identité. Plus sérieusement, je crois que nous sommes tous à des degrés divers, et en particulier les écrivains, des imposteurs. En tout cas, moi, je me sens tout le temps coupable d’imposture et je vis dans la terreur absurde d’être dénoncée. L’absurdité tenant au fait que tout le monde sait que je suis un imposteur, puisque je suis écrivain. Que pourrais-je être d’autre ?
Il y a autre chose, peut-être : ce prénom de Baptiste qui s’est imposé. Quand je suis née, mes parents étaient persuadés d’avoir un garçon qu’ils avaient appelé Jean-Baptiste. Pour une fille, ils n’avaient rien prévu. Alors, ils ont pris le premier prénom venu, qui n’était pas Amélie. En fait, ils ont passé leur temps, ma mère surtout, à m’appeler Claude, Colette, n’importe quoi, jusqu’à se centrer sur Amélie. J’aime bien Amélie, c’est mignon, ça fait soubrette, c’est un petit territoire onomastique qui a bien voulu de moi.


source: Musée Grévin (Paris)

Le Point : De Prétextat Tach, écrivain d’ Hygiène de l’assassin , à Olaf Sildur, double de Baptiste Bordave, en passant par Plectrude ou Textor Texel, vos personnages portent souvent des prénoms et des noms étranges. Comment les choisissez-vous ?
A. N. : Il y a aussi des Pierre, Paul et Jacques dans mes livres. Pour les autres, cela dépend du personnage, évidemment. Je fais des recherches, je fouille l’encyclopédie du XIXe siècle, qui est une mine de prénoms remarquables et inusités, j’en compose aussi, en fonction d’une sonorité ou d’un sens. Pour Attentat , j’ai inventé Épiphane Autos qui, dans une traduction littérale du grec, signifierait “apparition de l’oreille”. Prétextat Tach me plaisait parce qu’il sonnait mal, qu’on pouvait y entendre prétexte à tâche, etc., et qu’en plus, il y a un saint Prétextat (évêque de Rouen, martyrisé en 586).
Bordave et Sildur, ces deux personnages qui n’en forment qu’un, viennent, eux, de Tintin, ma première lecture. Dans Le Sceptre d’Ottokar , Hergé invente deux pays et deux populations, les Syldaves et les Bordures. La contrepèterie donne Syldures et Bordaves, cela me convenait pour un patronyme genre suédois, dont j’avais besoin, et pour le patronyme français.


photo: Dominique Houcmant

Le Point : Avez-vous été de ces enfants précoces qui se lancent très tôt dans l’écriture ?
A. N. : Non. J’appartiens à une famille où la littérature est vénérée, les écrivains considérés comme des dieux. Comment aurais-je osé me comparer à ces gens-là ? Je me disais : qui suis-je, moi, misérable vermisseau, pour m’imaginer que l’écriture m’est accessible ? En revanche, je me racontais continuellement des histoires, j’avais une épopée dans la tête. C’était génial, j’adorais m’isoler, je me mettais sous un drap parce que, là, l’histoire marchait mieux.
Puis à 12 ans, plus rien. Silence. Le récit s’était arrêté. J’ai eu l’impression d’une chute, d’une perte d’identité, d’une sclérose, l’impression tout à coup d’être morcelée, alors qu’avant, ce récit continuel m’unifiait. À 17 ans, j’ai lu Nietzsche et Rilke. Une illumination : j’ai compris que la question était mal posée. Oui, j’avais le droit d’écrire, pas parce que j’avais du talent, mais parce que c’était une nécessité vitale. Je m’y suis mise et, miracle, l’ancien récit a repris sous forme écrite. La vie est tellement mieux avec lui.
J’ai 40 ans, il y a donc vingt-trois ans que j’écris sans interruption, à l’exception d’un dimanche matin où j’avais décidé de dormir ou de lire au lit, comme une personne normale. Ça a été l’horreur, un sentiment de dépossession totale. J’avais 30 ans et je n’ai plus jamais recommencé.


capture d’image de l’émission “Des livres et nous” (présentée sur TV Amiens)

Le Point : Vous êtes une grande lectrice. Que lisez-vous en ce moment ?
A. N. : Tout bêtement la Rentrée Albin Michel. Mes collègues en quelque sorte.

Le Point : Éprouvez-vous un sentiment d’appartenance à une génération, une école ou un mouvement ?
A. N. : À tort ou à raison, je n’en éprouve aucun. Il y a des écrivains que j’aime beaucoup, mais je ne me reconnais pas en eux. Quant à ce qui est générationnel, ça ne m’intéresse pas. D’innombrables lycéens envoyés par des professeurs sans scrupules me demandent à quel mouvement littéraire j’appartiens et je ne peux pas leur répondre que ça n’existe pas, ils seraient désespérés, mal notés, etc. Alors, j’ai une réponse toute faite, qui visiblement convient à l’école littéraire du romantisme belge, une appellation qui me paraît comique en elle-même et qui ne signifie absolument rien.

n.b.: toutes les photographies ont été ajoutées à l’article original par citizen zoo

…suite de l’entrevue dans Amélie Nothomb / Amélie-san – 3ème partie…

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